Solenne Mutez
62%. C’est la baisse du chiffre d’affaires des vignerons français constatée en juin 2020, après plusieurs mois de ralentissement de l’activité. A l’heure de la crise sanitaire mondiale, les investissements tendent à se raréfier dans les secteurs les plus touchés, alors que d’autres peuvent apparaître comme des valeurs sûres. Le secteur viticole français, touché par la crise, voit ses acteurs progressivement changer de stratégie afin de s’adapter à ces changements inédits. Présente-t-il alors les atouts permettant de conserver la confiance des investisseurs tout en répondant à une demande croissante de produits plus responsables ?
La viticulture en France : un secteur aux fondations solides
Saviez-vous que la France est le deuxième producteur mondial de vin en volume derrière l’Italie, avec 17% de la production mondiale en 2019 ? Les trois quarts de la production française sont des vins tranquilles (en opposition aux vins effervescents) : 55 % en rouge, 26 % en blanc et 19 % en rosé. Dans l’hexagone comme à l’international, les vins français sont des produits prisés. Bien que certains cépages d’origine France soient également cultivés à l’étranger (on trouvera sans souci du Chardonnay produit dans la Columbia Valley de l’état de Washington), le sol, le climat ou encore les méthodes de production propres aux vignobles français donnent à ces vins locaux toute leur spécificité. Leur qualité ainsi que leur authenticité se traduisent par l’acquisition de labels : IGP, AOC ou encore son équivalent européen AOP.
Cette reconnaissance se perçoit assez nettement sur le marché viticole international. Le secteur des vins et spiritueux français constitue le deuxième poste excédentaire de la balance commerciale derrière l’aéronautique, avec près de 13 milliards d’euros d’excédent en 2019, ce qui le place devant le luxe et les cosmétiques. Mais à l’heure de la crise du coronavirus où les échanges avec les Etats-Unis et la Chine sont drastiquement réduits, le secteur s’adapte à ces changements tant bien que mal. Face à l’accumulation des stocks, certains vignerons ont opté pour la vente en ligne afin de maintenir au mieux leurs revenus, quand d’autres ont eu recours à la distillation de crise. Au terme de ce dernier procédé, l’éthanol obtenu était ensuite destiné aux industriels pour la production des gels hydroalcooliques. Incroyable mais vrai, votre gel préféré a pu être fabriqué à partir… d’un bon vin de Bordeaux ! Etrange époque. Cela a néanmoins permis aux vignerons de générer des revenus et libérer les cuves pleines à l’approche des vendanges. En parallèle, les aides gouvernementales visant à accélérer la reprise du secteur ont atteint 250 millions d’euros pour l’ensemble de la filière, qui doit également faire face à des défis environnementaux majeurs à l’heure de la transition.
Un changement de cap axé sur la transition écologique
Face aux enjeux climatiques, les gros acteurs du marché repensent leur stratégie de marque afin de coller au plus près des nouvelles attentes des consommateurs. Pernod Ricard, un des leaders mondiaux de la fabrication et distribution des vins et spiritueux, met pour sa part l’accent sur l’amélioration de la qualité des sols et des écosystèmes. Le groupe a ainsi pour objectif de transmettre son savoir-faire en la matière à plus de 5000 agriculteurs d’ici 2030. Du côté de la concurrence, le Groupe Castel, propriétaire du caviste Nicolas ou encore de la marque de vin Listel, mise sur une démarche similaire en faisant la promotion d’une agriculture s’appuyant sur le bio.
Mais où en sommes-nous dans l’émergence de ces nouvelles pratiques ? En parallèle de la viticulture conventionnelle, les exigences croissantes des consommateurs en matière de vin durable ouvrent la porte au bio, à la biodynamie ou encore aux vins naturels. En 2016, 9% du vignoble national était conduit en bio, c’est trois fois plus qu’il y a 10 ans. Cette transformation du marché viticole est synonyme de montée en gamme dans la mesure où la majorité des vins bio sont des AOP, ou a minima des IGP. La transition au bio représente un investissement conséquent et un changement de modèle économique pour l’exploitation, c’est pourquoi les aides de la Politique Agricole Commune (PAC) soutiennent les domaines dans leur démarche. En complément du prêt bancaire classique, certains viticulteurs utilisent le financement participatif afin de mener à bien les transformations structurelles de leurs parcelles. La coopérative viticole Agamy, gros producteur de Gamay dans la région du Beaujolais, a par exemple levé 275 000 € sur MiiMOSA pour accélérer sa transition en bio. Côté investisseurs, les intérêts perçus s’élevaient à 4% annuels. Plus d’une centaine de projets viticoles similaires se sont déjà financés sur MiiMOSA.
Si le bio est devenu le symbole de la transition agricole, d’autres pratiques vont dans un sens similaire. La certification Haute Valeur Environnementale (HVE) évalue par exemple le niveau de préservation de la biodiversité, la stratégie phytosanitaire, la gestion de la fertilisation et de l’irrigation du vignoble. Cette mention ne concerne que l’exploitation viticole, à la différence du bio qui labellise l’ensemble de la chaîne de production, de la vigne à la bouteille. Certains acteurs comme Les Vignerons de Buzet axent leur stratégie sur des vignes HVE et intègrent dans leur ADN les objectifs d’agriculture durable. La biodynamie pousse quant à elle la logique plus loin avec un cahier des charges encore plus strict que celui du bio ou des exploitations HVE. Bien que minoritaire, cette pratique prend de l’ampleur et se traduit par l’apposition, sur les bouteilles, de l’exigeant label Demeter. L’essor de ces labels et certifications, favorisé par les pouvoirs publics, contribue à valoriser les vins éligibles sur le marché et intégrer de manière concrète les enjeux environnementaux à la production.
A en croire toutes ces évolutions, le secteur viticole français semble s’adapter aux ruptures majeures apportées par les enjeux sanitaires et environnementaux, d’abord en trouvant de nouveaux débouchés sur le territoire national, mais aussi en accélérant par la même occasion sa conversion vers un modèle plus responsable. Aujourd’hui, l’intensification des périodes de fortes chaleurs due aux changements climatiques s’accompagne d’une hausse des taux de sucre (donc des taux d’alcool) ainsi qu’une fragilisation potentielle des vignes face à la sécheresse. Les systèmes d’irrigation, qui peuvent apparaître comme une solution, ne sont généralement pas autorisés pour les vins à appellation. C’est pourquoi les vignerons devront à l’avenir poursuivre l’adaptation de leur modèle en privilégiant les cépages les plus résistants à ces nouvelles conditions, afin de proposer des vins de haute qualité au taux d’alcool toujours maîtrisé. Le secteur n’a donc pas fini de se réinventer.